Nous vous annoncions récemment la publication d’une synthèse sur les enjeux psychosociaux de la réduction de la pollution lumineuse, dans le cadre du projet La nuit, je vis. Un travail d’enquête a ainsi été réalisé pour mieux comprendre les pratiques, puis a été mis en lien avec les éléments disponibles dans la littérature scientifique et les retours d’expériences. Suite et fin de cette courte série d’articles présentant quelques résultats de ces enjeux psychosociaux. Découvrez le premier article « Réduire ou éteindre partiellement l’éclairage au cœur de nuit : quels retours d’expériences des communes qui ont passé le cap ? » et le deuxième « Éclairage, peur de la nuit et sécurité ».
Réduire la pollution lumineuse et restaurer la présence du ciel étoilé, c’est modifier (voire éteindre) l’éclairage, ce qui peut impacter l’utilisation de l’espace public.
Un espace public nocturne dans la prolongation des activités diurnes…
Historiquement, la nuit était un espace-temps plutôt réservé aux activités marginales de la société. La journée était le temps de l’activité, dehors, dans l’espace public, et la nuit celui du repos, dans les maisons et l’espace privé. C’est l’arrivée d’un éclairage plus moderne qui a permis une continuité de la vie courante durant la nuit, particulièrement en contexte urbain, où elle est devenue un temps social important (loisirs, spectacles, restaurants…)1. Cette prolongation de l’activité sociale est particulièrement marquée de nos jours puisqu’en contexte urbain, les transports, commerces et infrastructures permettent d’utiliser les espaces collectifs et publics en soirée ou de nuit. Cette prolongation est surtout valable en ville, les territoires ruraux vivant très majoritairement avec une différenciation bien plus marquée de ces deux temps.
L’éclairage a également permis des mises en valeur des territoires, et a notamment été pensé comme un atout dans la compétition entre métropoles, villes et même villages. Toutefois, là où il s’agit de mettre en avant un patrimoine dans les villages, il est question de montrer l’image d’une ville perpétuellement active en milieu urbain. Des communes se démarquent de cette perspective (par exemple les Villes et villages étoilés) en proposant plutôt une mise en valeur du paysage nocturne, et notamment d’accès au ciel étoilé.
Changer l’expérience de la nuit
Lorsqu’on pense « extinction de l’éclairage », on pense assez vite « réduction de l’activité humaine ». Or, avec l’éclairage, nous ne faisons pas l’expérience de la nuit, mais de cette continuité de la journée. L’une des possibilités est donc de proposer aux habitant·es l’expérience de l’environnement naturel nocturne, afin d’explorer, découvrir cet espace-temps si particulier. Pour cela, les marches exploratoires² sont un outil simple à mettre en place avec plusieurs avantages conséquents :
- celui de recenser les pratiques et usages de l’espace et de la nuit ;
- celui de prendre en compte les potentielles divergences et conflits d’intérêts entre les groupes qui occupent l’espace (ceux et celles qui dorment, travaillent, occupent, traversent ou évitent le même espace ; selon leur sexe, leur âge, leur classe…),
- celui de faire vivre aux participant·es un espace-temps qu’elles et ils n’ont pas l’habitude d’expérimenter.
Les balades nocturnes permettent ainsi de « regarder » la nuit, d’échanger et de dialoguer autour du projet que les habitant·es souhaitent voir advenir. La mise en lumière des territoires (et l’extinction) représente des choix d’organisation spatiale, de valorisation ou relégation sociale, qui doivent être conscientisés et discutés avec les habitant·es et usager·es de ces lieux.
Proposer un projet pour la nuit
Savoir comment l’espace est pensé et vécu de jour et de nuit permet d’orienter les choix politiques et de décider des usages que l’on souhaite valoriser. Quelle expérience de la nuit souhaite-t-on offrir aux citoyen·nes ? Plusieurs communes, notamment en milieu rural, se tournent vers un tourisme nature, qui met en avant la faune, la flore, le travail paysan et dans lequel prend place relativement facilement l’accès au ciel étoilé. En complément des gains économiques et écologiques de la réduction d’éclairage, la réappropriation de la nuit comme un espace vivable par toutes et tous, humains et non humains, permet des manières de vivre l’espace public qui va dans le sens d’une sobriété et d’expériences sensibles nouvelles.
L’enjeu semble donc d’évaluer et comprendre au mieux les besoins et vécus des habitant.es pour “cheminer vers « l’éclairer juste », nouvelle doctrine de l’éclairage urbain qui opère la mitigation entre nos besoins de lumière artificielle et l’ensemble des besoins d’obscurité – écologiques, sanitaires et socioculturels” (Lapostolle & Challéat, 2019) et se positionner en tant qu’acteur territorial à la hauteur des enjeux environnementaux actuels (notamment ceux décrits dans le 6e rapport du GIEC).
Envie d’en savoir plus ? Consulter la synthèse et les résultats complets de notre étude
Le projet La Nuit, Je Vis, un partenariat URCPIE AuRA et FNE Auvergne-Rhône-Alpes, bénéficie du soutien de l’Office français de la biodiversité et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
1 Voir à ce sujet cette émission du Cours de l’Histoire sur France Culture
² Pour plus de détails, voir la fiche n°4 de notre synthèse psychosociale
Rédaction : Hélène Chiron et Cynthia Cadel, psychologues sociales
Photo : Triton, crédits LCP